Le Titan

Alexandre est devenu Alex dans son internat privé anglais. Non pas pour des raisons de crises identitaires mais plus simplement parce que ses camarades de classe avaient tendance à l'appeler Alexander, ce qui le frustrait au plus haut point.
Le petit garçon n'était pas d'un naturel spontanément communautaire et malgré son jeune age il se souciait énormément des conventions social. Ainsi il ne se fit pas un grand nombre d'ami, pour ne pas dire aucun. Il n'avait pas d'ennemi non plus, Alexandre était bien trop effacé et discret pour se faire détester de qui que ce soit.
Pour noyer la peine d'être séparé d'une famille qui le terrifiait, Alexandre se plongea dans la lecture. Il passait la plus grande partie de son temps libre dans la partie française de l'immense bibliothèque de l'établissement pour avaler toute information utile que pourrait lui fournir ses livres d'aventures. Ainsi grâce à Robinson Crusoé il se sentait capable de prendre la mer pour se trouver perdu dans une île abandonnée, noyée par l'océan (il aurait juste besoin de trouver un indigène sur place qui l’appellerait maître, et lui insisterait lourdement pour qu'il ne le fasse pas. Mais bien sûr il continuait), Jules Verne lui apprit comment survivre si jamais la vie voulait qu'il termine coincé dans un sous-marin, ...

Durant le premier été Alex fut autorisé à revenir dans la demeure familial. Il la trouva bien plus imposante et angoissante que lorsqu'il l'avait quitté. Le parquet semblait craquer de façon bien plus sinistre sous ses pas, la cave était beaucoup plus sombre et les escaliers menant jusqu'aux bouteilles de vins dont son père était si fier semblaient interminables, l'invitait à se faire engloutir par les monstres tapit dans l'obscurité.
Balthazar ne l'invita plus à la chasse. Alexandre s'en trouvait tout autant soulagé que contrarié. Son année passée à l'internat l'avait endurcit et il se sentait capable d'appuyer sur la gachette d'un fusil. Mais il savait bien qu'il tournerait de l'oeil à la première goutte de sang ou au premier cadavre qui se trouverait sous son nez.
Sa mère le choya, le tenant éloignée de Charles et son grand manteau noir. Et Alex jouait sur les graviers, devant la maison. Il s'amusait avec ses soldats de plombs, à l'ombre des buissons.

Mais un soir, alors que le jour tout comme les vacances d'été, tirait vers sa fin le petit se trouva dérangé dans ses jeux. Il se redressa subitement en entendant la guerre qui perçait au portail du jardin. Dieu semblait remuer ciel et terre, la poussière se soulevait du sol et se rapprochait à la même vitesse que la créature. Alex entendit son cœur battre la chamade dans sa poitrine. Il était tétanisé. Les sabots d'une bête titanesque raclaient le sol. Un hennissement se détacha des hurlements et des insultes lancées par Balthazar. L'étalon était énorme, Alex se sentit écrasé par le poids de la bête qui se trouvait encore à plusieurs mètres de lui. C'était un monstre. La première terreur passée Alex réalisa que son père était ensanglanté. Au deuxième coup d’œil il constata que c'était l'animal qui était blessé et épouvanté par la présence de Balthazar. Celui-ci glissa au sol avant d'attraper la bête par la bride et le licol. Ce fut un combat de titans entre les deux créatures, toutes aussi énervées l'une que l'autre. A la différence que c'était la colère qui animait son père. Le palefrenier ne mit pas longtemps à arriver pour tenter de calmer la bête. Alex choisit d'abandonner ses soldats de plombs pour un repli stratégique à l'abris des haies. La voix de son père roulait au dessus de lui comme du tonnerre et pesait lourdement sur ses épaules. Ce stupide animal l'avait envoyé voler sur la route juste devant les Guillon. il avait perdu la tête et s'était entré dans le crâne de sauter le muret qui donnait sur la route. Au dernier moment elle avait changé d'avis, l'arrêt brutal avait désarçonné son cavalier qui s'était retrouvé le cul par terre.
Alex savait bien que c'était faux. Balthazar avait simplement voulu impressionner les Guillon. Il sentit un peu de peine pour la bestiole et se promit d'aller jeter (de loin) une carotte dans son box un peu plus tard.
Mais il n'y eut pas de plus tard pour la bestiole. Ou en tout cas un très court plus tard. Hurlant vengeance et crachant insultes sur insultes à un pauvre cheval déjà bien mal en point Balthazar attrapa la masse du palefrenier qui reposait à quelques enjambées de là. Lorsqu'il passa devant Alex, celui-ci se tassa un peu plus dans son coin. La bête s'agitait et se rapprocha de sa cachette, elle faisait voler les graviers et remuait la poussière. Les yeux du gamin se mirent à piquer. Un terrible craquement se fit entendre et du sang gicla sur le réfugié de fortune sous ses buissons. Alex n'eut pas le temps de relever les yeux que la même scène se reproduisit. L'étalon s'agitait et gueulait. Les pattes arrières brisées dans un angle qui n'avait pas l'air bien naturel, il semblait sur le point de basculer et agitait ses pattes encore valides. Balthazar crachait son venin sur la créature, prenant les dieux en témoins du châtiment qu'il exerçait. Alexandre détourna les yeux lorsque son père frappa encore une fois. Il n'eut pas le temps de se boucher les oreilles et il ne manqua pas l'affreux craquement. Des gouttes de sang volèrent sur son visage. La quatrième fois, Alexandre regarda avec une curiosité malsaine la masse s'abattre sur la dernière patte valide du cheval qui tomba lourdement sur le sol. Est-ce que ses os feraient un bruit de maracas ? Alex se posait la question. Son cerveau était embrumé. l'odeur du sang le rendait malade. Il entendait à peine les hurlements de sa mère à l'intention de Balthazar. Finalement un dernier craquement, une dernière giclée de sang, puis le silence. Alex mit quelques secondes avant de réaliser qu'il s'était arrêté de respirer. Il avait les yeux fixés sur le cadavre sanglant du cheval dont le front était défoncé. Il n'entendit pas son père se moquer en voyant qu'il s'était pissé dessus. Son père, la masse au poing, victorieux et fier. Son honneur était rétablit, ses nerfs calmés.
Ce fut la palefrenier qui le sortit des buissons sous les ordres lancés par la voix tonitruante de Charles. Alexandre se laissa faire, incapable de détacher ses yeux de la carcasse déjà attaquées par les mouches.
A la suite de cet événement il fit de son mieux pour éviter son père jusqu'à son retour à l'internat.

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