Il avait toujours été seul. Il aimait être seul. Ichabod était un petit garçon qui pouvait se satisfaire de sa propre compagnie, le nez dans ses livres, l'esprit tourné vers un monde imaginaire ou un univers ancré dans la réalité. Apprendre, comprendre, découvrir... C'était ce qui passionnait Ichabod, qui avait une curiosité insatiable à nourrir.
Ses lunettes recouvrant la moitié de son visage poupin, l'enfant dévorait livre sur livre, peu désireux de partager les activités de ses camarades. Oh, Ichabod aurait bien aimé avoir des amis, là n'était pas la question. Comme dans ses romans préférés, Ichabod rêvait d'avoir à ses côtés des personnes sur lesquelles compter, avec qui tout partage.
Mais les enfants de son âge étaient si... bruyants. Si brutaux. Si agités. Leurs jeux étaient inintéressants. Leurs discussions ennuyaient rapidement le petit garçon, qui aurait préféré mille fois parler de Jack London, d'insectes ou d'astronomie, des sujets qui ne semblaient guère passionner ses petits camarades. Ils n'étaient pas compatibles. Les autres enfants s'amusaient bien entre eux. C'était donc lui qui devait avoir un problème. Peut-être ne méritait-il pas d'avoir des amis...
Ichabod grandit dans la solitude. Ses parents avaient une relation plus fusionnelle avec sa soeur, de deux ans son aînée, débordante de vie et d'énergie. Ichabod, lui, restait généralement dans son coin. Il ignorait comment aller vers eux et eux ignoraient comment aller vers lui. Les choses allaient ainsi...
A son adolescence, Ichabod commença à s'intéresser aux autres. A vouloir les décortiquer. Il voulait comprendre pourquoi il n'avait aucun ami. Pourquoi les autres élèves semblaient décidés à casser ses lunettes, déchirer ses livres, faire de lui le mouton noir de l'école... Ils lui faisaient du mal. Beaucoup de mal. Et ils riaient à ses larmes, à ses pleurs, à ses questions suppliantes.
Ichabod voulait comprendre. Comprendre et, peut-être, changer. Trouver un moyen de leur ressembler. De s'intégrer. D'être comme eux. Il s'était plongé dans la psychologie. Avait dévoré des milliers d'ouvrages. Il avait visionné documentaire sur documentaire, sa mémoire développée lui permettant d'engranger un grand nombre de connaissances. Il n'avait jamais réussi à changer, pas dans leur sens, en tout cas.
Mais il était arrivé à saisir leur fonctionnement. Il comprenait que Bryan lui proférait des insultes homophobes à répétition parce qu'il était mal à l'aise avec sa propre sexualité. Que Mandy le traitait plus bas que terre de manière à satisfaire sa perversion narcissisique. Il les
analysait. Et il pouvait les contrer.
Il ne cherchait pas à les humilier ou à se venger. Juste à obtenir un peu de tranquillité. Quelques mots bien placés et cela suffisait généralement. Certains d'entre eux étaient bien plus malheureux qu'il ne le serait jamais. Ils ne méritaient pas qu'il se serve de leurs points faibles contre eux.
Ichabod aurait voulu les aider, mais il n'avait pas leur confiance. Autrefois, ils le méprisaient et, désormais, ils le craignaient parce qu'il pouvait lire si facilement en eux. Il n'avait pas les clés pour leur apporter le soutien nécessaire. Jamais ils ne lui ouvriraient leurs portes.
Les années passant, Ichabod avait fait de sa passion ses études, puis son métier. A ses 28 ans, il était psychologue dans une école primaire de Los Angeles. Il vivait seul, dans un appartement modeste, supportant assez mal la vie énergique de la ville, son ambiance qu'il jugeait "survoltée". Il n'avait jamais particulièrement aimé sa ville natale. Rien ne l'y rattachait. Pas même sa famille, avec laquelle il n'entretenait pas ou peu de liens.
Quand un poste lui fut offert à Santa Barbara, une alternance entre l'Université et le Lycée, Ichabod n'hésita pas une seconde. Plus calme que Los Angeles, Santa Barbara conviendrait sans doute mieux à son caractère doux et timide. Et cela lui permettrait de parfaire son espagnol, sa nouvelle lubie...
Cela fait deux années qu'Ichabod est à Santa Barbara. La ville n'est pas aussi tranquille qu'il aurait pu l'espérer, mais elle l'était déjà plus que Los Angeles. Son travail, très prenant, lui offre beaucoup de satisfaction, Ichabod n'hésitant pas à s'investir à 100 % pour ses élèves. Sa vie privée, en revanche, est beaucoup plus "vide". Pas ou peu d'amis, un chat pour seule compagnie, une bibliothèque entière qu'il dévore encore et encore...
A 34 ans, Ichabod reste persuadé qu'il ne mérite pas d'être aimé. Que quelque chose en lui l'empêche d'être apprécié, lui ôte toute forme de valeur. Qui saura le détromper ?
© _Viviie.